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considérer comme légitimes leurs traitements pris au peuple affamé et qu’ils gagnent en opprimant ce peuple ou en poursuivant des gens parce qu’ils réfutent le mensonge et prêchent la vérité.

Toutes ces actions comme celles de tous les tyrans, depuis Napoléon jusqu’au dernier commandant de compagnie qui tire dans la foule, ne s’expliquent que parce qu’ils sont enivrés par la puissance que leur donne la soumission des hommes prêts à accomplir tous leurs ordres et qu’ils sentent derrière eux. Toute la force réside donc dans les hommes qui accomplissent de leurs mains les actes de violence, dans les hommes qui servent dans la police, dans l’armée, surtout dans l’armée, car la police n’agit que lorsqu’elle sent l’armée derrière elle.

Qu’est-ce qui a donc amené ces masses honnêtes, dont tout dépend, à cette aberration surprenante qu’un ordre de choses si meurtrier doive exister nécessairement ?

Qui les a donc fait tomber dans une erreur aussi grossière ?

Ces hommes n’ont pas pu se persuader eux-mêmes qu’ils doivent faire ce qui est contraire à leur conscience, nuisible, meurtrier pour eux et pour toute leur classe qui représente les neuf dixièmes de la population.

« Comment pourras-tu tuer des hommes, lorsque la loi de Dieu dit : Tu ne tueras pas » ? ai-je demandé plus d’une fois à divers soldats. Et toujours je les embarrassais en leur rappelant par cette question ce à quoi ils voulaient ne pas penser. Ils savaient qu’il existe une loi de Dieu obligatoire : Tu ne tueras pas, et ils savaient qu’il existe aussi un service militaire obligatoire, mais ils n’avaient jamais pensé qu’il y eût là une contradiction. Le sens des réponses timides que j’obtenais était toujours que tuer à la guerre ou exécuter un criminel par ordre