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ceux qui se sont passés à Orel ou comme ceux auxquels se préparaient les voyageurs du train allant à Toula.

Mais sur quoi est fondée cette affirmation ?

Il va sans dire qu’il est agréable et désirable pour le propriétaire de croire à la nécessité et à l’immutabilité de l’ordre de choses actuel qui lui assure le revenu de ces centaines et de ces milliers d’acres de terre et lui permet de mener sa vie habituelle, oisive et luxueuse.

On comprend également que le juge croie volontiers à la nécessité de cet ordre de choses qui lui permet de recevoir cinquante fois plus que l’ouvrier le plus laborieux. De même pour tous les autres fonctionnaires supérieurs. Ce n’est que grâce à cet ordre de choses que le gouverneur, le procureur, les sénateurs, les membres de toutes sortes de conseils peuvent toucher ces gros traitements sans lesquels ils périraient immédiatement avec toute leur famille, car toute leur intelligence, tout leur savoir et tout leur travail ne leur donnerait pas, dans toute autre situation, la centième partie de ce qu’ils gagnent. Dans le même cas se trouvent les ministres, le chef d’état et toutes les autorités supérieures, avec cette seule différence que plus ils sont haut placés, plus leur situation est exceptionnelle et plus ils doivent croire que le régime actuel est le seul possible, car non seulement ils ne pourraient avoir en dehors de lui une situation équivalente, mais encore ils tomberaient plus bas que tous les autres hommes. Un homme engagé volontairement comme sergent de ville pour un traitement de dix roubles par mois, etc., qu’il pourrait facilement gagner partout ailleurs, est peu intéressé à la conservation de l’ordre de choses actuel et, par suite, peut ne pas croire à sa nécessité absolue. Mais un roi ou un empereur, qui reçoit des millions, qui sait qu’autour de lui se trouvent des milliers d’hommes envieux de sa