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Dire que ce sont tous des bêtes féroces à qui il ne répugne pas de commettre cette cruauté est encore moins possible. Il suffit de leur parler pour voir que tous, et le propriétaire, et le juge, et le ministre, et le souverain, et le gouverneur, et les officiers, et les soldats, non seulement n’approuvent pas cette action dans leur for intérieur, mais encore souffrent de l’obligation d’y participer lorsqu’on leur en rappelle l’iniquité. Ils cherchent seulement à ne pas y penser.

Il suffirait de leur parler pour s’apercevoir qu’ils ont conscience de cette iniquité, qu’ils auraient préféré ne pas y participer et qu’ils en souffrent.

Une dame qui professait des opinions libérales et qui voyageait dans le même train que nous, ayant aperçu le gouverneur et les officiers dans le salon de première classe, et ayant appris le but de leur voyage, se mit, en élevant ostensiblement la voix, à critiquer violemment les mœurs de notre temps et à invectiver les hommes qui étaient les instruments de cette iniquité. Tout le monde se sentit mal à l’aise, on ne savait où porter les regards. Mais personne ne la contredit. On eut l’air de n’attacher à ses paroles aucune importance, mais, à l’attitude contrainte des voyageurs, il était visible qu’ils avaient honte. Je remarquai le même embarras chez les soldats. Eux aussi, ils savaient que l’action qu’ils allaient commettre était indigne, mais ils ne voulaient pas y penser.

Lorsque le marchand de bois — cela sans sincérité, je le suppose, mais seulement pour montrer qu’il n’était plus un paysan — se mit à dire combien de pareilles mesures étaient nécessaires, les soldats qui l’avaient entendu se détournèrent de lui en fronçant les sourcils et en ayant l’air de n’avoir pas entendu.

Tous ces gens qui concouraient à l’accomplissement