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près de l’église, dans l’Okhotny-Rïad. Une vingtaine d’hommes s’étaient réunis sur le trottoir et s’entretenaient très sérieusement de religion.

En même temps un concert avait lieu à côté dans le bâtiment du cercle de la noblesse, et l’officier de police posté là, ayant remarqué ce groupe, envoya un gendarme à cheval avec l’ordre de faire circuler. À vrai dire, l’officier n’avait nul besoin de disperser ce groupe, qui ne gênait personne, mais il avait été posté là toute la matinée et il fallait bien que ce ne fût pas pour rien. Le gendarme, un brave garçon, en mettant son poing sur la hanche et en faisant retentir son sabre, s’approcha de nous et ordonna d’un ton sévère : « Circulez ! qu’est-ce que cette réunion ? » Tous se retournèrent vers lui et l’un de nous, un homme doux, répondit d’un air calme et affable : « Nous parlons de choses sérieuses, pourquoi donc nous séparer ? Il vaut mieux, jeune homme, descendre de ton cheval et venir nous écouter, cela te sera utile aussi. » Puis il se tourna de nouveau vers nous et continua l’entretien. Le gendarme tourna bride et s’éloigna sans mot dire.

La même chose doit avoir lieu dans tous les actes de violence. Ce pauvre officier, il s’ennuie ; le malheureux est mis dans une situation qui l’oblige à faire acte d’autorité ; il vit d’une vie à part ; il ne peut que surveiller et donner des ordres, donner des ordres et surveiller, quoique sa surveillance et ses ordres n’aient aucune utilité. Dans la même situation se trouvent un peu déjà et bientôt se trouveront tout à fait tous ces malheureux chefs d’état, ministres, membres des parlements, gouverneurs, généraux, officiers, archevêques, prêtres, et même les riches. Ils n’ont rien autre chose à faire que de donner des ordres, et ils le font, ils envoient leurs subordonnés — comme l’officier, le gen-