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l’avenir nous semble douteux, — nous ressemblons à des voyageurs sur un bâtiment en détresse qui auraient peur de descendre dans le canot de sauvetage et qui s’enfermeraient dans leurs cabines et n’en voudraient pas sortir ; ou bien encore à des moutons qui, effrayés de l’incendie de leur étable, se pressent dans un coin et refusent de sortir par la porte grande ouverte.

Est-ce que nous pouvons, nous, à la veille de la guerre sociale effrayante et meurtrière, auprès de laquelle, comme disent ceux qui la préparent, les horreurs de 93 seront des enfantillages, est-ce que nous pouvons parler du danger dont nous menacent les Dahoméens, les Zoulous, etc., si loin de nous et ne pensant seulement pas à nous attaquer, ou de celui que présentent pour la société quelques milliers d’hommes corrompus par nous-mêmes, malfaiteurs, voleurs, assassins, dont nos tribunaux, nos prisons et nos supplices ne diminuent pas le nombre ?

En outre, la peur de supprimer la défense visible du gendarme est une peur particulière aux gens des villes, c’est-à-dire aux gens qui vivent dans des conditions anormales et artificielles. Ceux qui vivent dans des conditions anormales, non dans les villes, mais au milieu de la nature et luttant avec elle, n’ont pas besoin de cette protection et savent combien la violence nous protège peu contre les dangers réels qui les entourent. Dans cette terreur il y a quelque chose de maladif qui provient surtout de ces conditions artificielles dans lesquelles la plupart de nous vivent et grandissent.

Un médecin aliéniste racontait qu’un jour, pendant l’été, sortant de l’hospice, les fous l’accompagnaient jusqu’à la porte de la rue.

— Venez donc en ville avec moi ! leur proposa-t-il.

Les malades y consentirent et une petite bande le sui-