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D. — Mais, si l’idée de la doctrine est juste, est-elle réalisable ?

R. — Aussi réalisable que tout bien commandé par l’Écriture sainte. Le bien, pour être accompli, dans n’importe quelle circonstance, exige des renoncements, des privations, des souffrances et, dans les cas extrêmes, le sacrifice de la vie elle-même. Mais celui qui tient à sa vie plus qu’à l’accomplissement de la volonté de Dieu est déjà mort pour la seule vie qui soit véritable. Un tel homme cherchant à sauver sa vie la perdra. Et puis en général, partout où la non-résistance demande le sacrifice d’une seule vie ou de quelque bonheur essentiel de la vie, la résistance demande des milliers de sacrifices semblables. La non-résistance conserve ; la résistance détruit.

Il est bien moins dangereux d’agir avec équité qu’avec injustice, de supporter l’offense que d’y résister par la violence. C’est plus sûr même dans notre vie actuelle. Si tous les hommes s’abstenaient de résister au mal par le mal, le bonheur régnerait sur la terre.

D. — Mais, si quelques-uns seulement agissaient ainsi, que deviendraient-ils ?

R. — Si même un seul homme agissait ainsi et que tous les autres convinssent de le crucifier, ne serait-il pas plus glorieux pour lui de mourir pour le triomphe de l’amour que de vivre et de porter la couronne de César éclaboussée par le sang des immolés ? Mais que ce soit un seul ou mille hommes qui aient décidé de ne pas résister au mal par le mal, qu’ils soient parmi les civilisés ou parmi les sauvages, ils seraient bien plus à l’abri de la violence que ceux qui s’appuient sur la violence. Le brigand, l’assassin, le fourbe les laisseraient tranquilles plutôt que ceux qui résistent par les armes. Celui qui frappe par le glaive périra par le glaive, tandis