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est funeste par ce fait qu’elle conduit les hommes à dédaigner le facteur principal de leur vie — l’action spirituelle — et fixe toute leur attention et toute leur énergie sur l’action violente extérieure, généralement nuisible.

Cette erreur est semblable à celle que commettraient les hommes qui, pour faire marcher une locomotive, tourneraient les roues à l’aide de leurs bras, sans se douter que la cause fondamentale de son mouvement est la dilatation de la vapeur et non pas le mouvement des roues. Les hommes qui voudraient faire tourner les roues à l’aide de leurs bras ou de leviers ne provoqueraient qu’un semblant de mouvement, tout en abîmant les roues et en empêchant ainsi la possibilité du véritable mouvement.

On dit que la vie chrétienne ne peut pas s’établir sans la violence parce qu’il y a des peuples sauvages en Afrique, en Asie (certains représentent même les Chinois comme une menace pour notre civilisation), et parce qu’il existe dans les sociétés, d’après la nouvelle théorie d’hérédité, des criminels nés, sauvages et corrompus.

Mais ces sauvages, qui sont à l’intérieur ou en dehors des sociétés chrétiennes, n’ont jamais été soumis à la violence et ne le sont pas aujourd’hui. Les peuples n’ont jamais soumis les autres peuples uniquement par la violence. Si le peuple qui en a soumis un autre était moins civilisé, il n’introduirait pas par la violence son organisation sociale, mais au contraire se soumettrait lui-même à l’organisation du peuple conquis.

Lorsque les peuples entiers se soumettaient à une nouvelle religion, devenaient chrétiens ou passaient au mahométisme, cette transformation s’accomplissait non pas parce qu’elle était rendue obligatoire par les hommes qui détenaient le pouvoir (la violence agissait souvent dans un sens justement opposé), mais parce qu’elle était