Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par l’amélioration progressive des opprimés sous l’influence de l’action du gouvernement (au contraire ils deviennent pires), mais parce que tous les hommes, par eux-mêmes, devenant meilleurs, les plus méchants qui sont au pouvoir deviennent à leur tour de moins en moins méchants et deviendront suffisamment bons pour être incapables d’employer la violence.

La marche en avant de l’humanité s’accomplit non pas parce que les oppresseurs deviennent meilleurs, mais parce que les hommes s’assimilent chaque jour davantage la conception chrétienne de la vie. Il arrive aux hommes quelque chose d’analogue au phénomène de l’ébullition. Les hommes de la conception sociale tendent toujours au pouvoir et luttent pour l’acquérir. Dans cette lutte les éléments les plus cruels, les plus grossiers, les moins chrétiens de la société, en violentant les plus doux, les plus portés au bien, les plus chrétiens, montent, par suite de leur violence, aux couches supérieures de la société. Et c’est alors que s’accomplit la prédiction du Christ : « Malheur à vous, riches, repus, glorifiés ! » Ces hommes du pouvoir et de la richesse, arrivés au but qu’ils se sont fixé, en reconnaissent la vanité et retournent à la situation dont ils sont sortis. Charles-Quint, Ivan le Terrible, Alexandre Ier, ayant reconnu la vanité et la cruauté du pouvoir, l’ont abandonné parce qu’ils se sont sentis incapables de jouir plus longtemps de la violence.

Mais ce n’est pas seulement les Charles-Quint et les Alexandre Ier qui sont arrivés à ce dégoût du pouvoir, tout homme ayant conquis la puissance qu’il ambitionnait, tout ministre, général, millionnaire ou même chef de bureau qui a convoité sa place pendant dix ans, tout moujik enrichi éprouve la même désillusion et en devient meilleur.