Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voir et qu’ils soient renversés aussitôt qu’ils cessent d’être les meilleurs.

C’est ce que l’on suppose en Chine, mais qui n’est pas en réalité. D’ailleurs cela ne peut pas être, car, pour renverser le pouvoir de l’oppresseur, il ne suffit pas d’en avoir le droit, il faut encore en avoir la force. De sorte que ce n’est qu’une supposition en ce qui concerne la Chine, et, dans notre monde chrétien, il n’y a même pas lieu à supposition. Ce sont ceux qui se sont emparés du pouvoir, et non les meilleurs, qui le gardent pour eux et pour leurs héritiers.

Pour acquérir le pouvoir et le conserver, il faut aimer le pouvoir. Et l’ambition ne s’accorde pas avec la bonté, mais, au contraire, avec l’orgueil, la ruse, la cruauté.

Sans l’exaltation de soi-même et l’humiliation d’autrui, sans l’hypocrisie et la fourberie, sans les prisons, les forteresses, les exécutions, les assassinats, aucun pouvoir ne peut naître ni se maintenir.

« Si on supprimait le gouvernement, le méchant dominerait le bon, » disent les défenseurs de l’état. Les Égyptiens ont vaincu les Juifs ; les Perses, les Égyptiens ; les Macédoniens, les Perses ; les Romains, les Grecs ; les Barbares, les Romains : est-ce que réellement les vainqueurs valaient mieux que les vaincus ? Et de même, lors de la transmission du pouvoir dans un état, passe-t-il toujours au meilleur ? Lorsqu’a été renversé Louis XVI et que le pouvoir a passé à Robespierre, puis à Napoléon : qui était au pouvoir, le meilleur ou le pire ? Qui étaient les meilleurs, les Versaillais ou les communards ? Charles Ier ou Cromwell ? Et lorsqu’on a tué le tsar Pierre III et que Catherine est devenue l’impératrice d’une partie de la Russie et Pougatchev le souverain de l’autre, lequel d’entre eux était le méchant ? lequel le bon ?