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comptés et ils ne peuvent rien faire. Tout ce qu’ils peuvent pour leur salut, ce n’est que retarder l’heure de leur perte. C’est ce qu’ils font, mais leur situation est quand même désespérée. Elle est semblable à celle du conquérant qui voudrait conserver la ville incendiée par ses propres habitants. À peine éteindrait-il le feu d’un côté qu’il s’allumerait des deux autres.

Les foyers sont rares encore, mais ils se réuniront en un incendie qui, né d’une étincelle, ne s’arrêtera que lorsqu’il aura tout consumé.

La situation des gouvernements devant les hommes qui professent le christianisme est si précaire qu’il s’en faut de bien peu que ne s’effondre leur pouvoir, élevé par tant de siècles et si solide en apparence. Et c’est alors que l’homme social vient prêcher qu’il est inutile et même nuisible et immoral de s’affranchir isolément !

Des gens veulent détourner une rivière. Ils ont longtemps travaillé pour lui creuser un nouveau lit, mais enfin il ne reste plus qu’à lui donner issue. Encore quelques coups de pioche, et l’eau, jaillissant avec force, se débarrassera elle-même des derniers obstacles. Mais à ce moment arrivent d’autres hommes qui trouvent le procédé mauvais et déclarent qu’il vaut mieux construire au-dessus du fleuve une machine au moyen de laquelle on puisse élever l’eau et la faire passer d’un côté à l’autre.

Mais les choses sont trop avancées.

Les gouvernants sentent déjà leur impuissance et leur faiblesse, et déjà les hommes de la conception chrétienne se réveillent de leur torpeur et commencent à sentir leur force.

« J’ai apporté le feu sur la terre, a dit le Christ ; combien je languis après le moment où il s’allumera ! »

Ce feu commence à s’allumer.