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où on peut fusiller pour le refus d’obéir, et où ce genre d’affaires passe inaperçu, car, dans ces pays lointains, il y a très peu de Russes et de chrétiens, mais beaucoup de mahométans et d’idolâtres. C’est ce qu’on fait. On envoie le jeune homme dans l’armée de la région transcaucasienne, en compagnie de criminels et sous le commandement d’un chef connu pour sa sévérité.

Pendant toutes ces pérégrinations le malheureux est traité grossièrement, on lui fait subir le froid, la faim, la malpropreté, en un mot on lui fait souffrir le martyre. Mais toutes ses souffrances n’ébranlent pas sa résolution. Au Transcaucase, lorsqu’on l’envoie comme sentinelle, de nouveau il refuse d’obéir. Il ne refuse pas d’aller se poster, mais il refuse de prendre le fusil en déclarant que dans aucun cas il n’emploiera la violence contre personne. Comme tout cela a d’autres soldats pour témoins, il est impossible de laisser cette désobéissance impunie. On fait passer le jeune homme en jugement pour insubordination, et on le condamne à deux ans d’emprisonnement militaire. De nouveau, on l’envoie par étapes, avec de vulgaires criminels, au Caucase où on l’emprisonne en le livrant au pouvoir discrétionnaire du geôlier. On le martyrise pendant dix-huit mois, mais il reste inébranlable dans sa résolution de ne pas porter les armes, et il en fait connaître la raison à tous ceux qui l’entourent. À la fin de la deuxième année, on le remet en liberté, et, pour s’en débarrasser le plus tôt possible, on le libère avant le terme, en comptant contrairement à la loi, comme temps de service, les années passées en prison.

Les mêmes faits se sont produits en différents endroits de la Russie et, toujours, l’action du gouvernement a été aussi timide, hésitante et secrète. Certains de ces insoumis sont envoyés dans des maisons de fous ; d’autres