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comme chrétien, se préparer au meurtre, défendu déjà par la loi de Moïse.

Cet incident s’est produit dans une ville de province. Il provoque l’intérêt et même la sympathie non seulement chez les personnes étrangères à l’armée, mais encore chez les officiers ; aussi les chefs hésitent à employer les mesures disciplinaires appliquées ordinairement contre l’insubordination. Pour la forme cependant on met le jeune homme en prison et on écrit à l’administration militaire supérieure pour demander des instructions. Au point de vue officiel, le refus de servir dans l’armée, à laquelle appartient le tsar lui-même, et qui est bénie par l’église, est une folie. On écrit donc de Pétersbourg que, selon toutes probabilités, le jeune homme ayant probablement perdu la raison, il faut, sans employer la rigueur contre lui, l’envoyer examiner et soigner dans une maison de fous. On l’y envoie dans l’espoir qu’il y restera longtemps comme, il y a dix ans, cela est arrivé, à Tver, à un autre jeune homme qui a refusé le service, et qu’on a torturé, dans la maison des aliénés, jusqu’à ce qu’il se soit soumis. Mais ce moyen ne réussit pas toujours. Les médecins examinent le jeune homme, s’intéressent à son cas et finalement, ne trouvant en lui aucun symptôme d’aliénation mentale, le renvoient aux autorités militaires. On l’incorpore, en ayant l’air de ne pas se rappeler son refus ni les motifs qu’il en a donnés. On l’envoie de nouveau à l’exercice et, de nouveau, devant les autres soldats, il s’y refuse en invoquant les mêmes raisons.

L’affaire attire de plus en plus l’attention aussi bien des soldats que des habitants de la ville. On écrit de nouveau à Pétersbourg et on reçoit cette fois l’ordre de verser le récalcitrant dans l’armée qui occupe les régions frontières d’Asie, armée sur le pied de guerre,