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il refuse. Alors on le regarde comme un sectaire qui comprend mal le christianisme, c’est-à-dire d’une autre manière que ne le comprennent les prêtres payés par l’état. On l’envoie donc aux prêtres. Ceux-ci le catéchisent, mais leurs exhortations à nier le Christ au nom du Christ sont sans effet sur le jeune homme et on l’incorpore dans l’armée en le signalant comme incorrigible. Il continue à ne pas prêter serment et refuse ouvertement d’accomplir les devoirs militaires.

Ce cas n’est pas prévu par la loi. Il n’est pas possible de tolérer qu’on ne se soumette pas aux ordres de l’autorité, mais il n’est pas possible non plus de ranger ce cas parmi les insubordinations ordinaires. Après conciliabule, les autorités militaires, pour se débarrasser de ce garçon gênant, se décident à le reconnaître comme révolutionnaire et l’envoient sous escorte à la police secrète. Les policiers et les gendarmes l’interrogent, mais rien de tout ce qu’il dit ne peut être rangé dans aucune catégorie des crimes qui sont dans leurs attributions, et il est impossible de l’accuser d’aucun acte révolutionnaire, puisqu’il déclare qu’il ne veut rien détruire, mais qu’au contraire il condamne toute violence. D’ailleurs il ne cache pas ses opinions et cherche plutôt l’occasion de les formuler ouvertement. Et les gendarmes, bien que la légalité ne les gêne guère, ne trouvant aucun motif d’accusation, le rendent comme le clergé aux autorités militaires. Les chefs se consultent de nouveau et décident d’inscrire et d’enrégimenter le jeune homme quoiqu’il n’ait pas prêté serment. On l’habille et on le dirige sous escorte vers l’endroit où se trouve le détachement auquel on le destine. De nouveau le chef de ce détachement lui demande l’accomplissement des devoirs militaires, et de nouveau il s’y refuse et, devant les autres soldats, déclare qu’il ne peut pas,