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que tout l’essaim s’enlève librement, de même il suffirait à un seul homme de vivre selon l’enseignement du Christ, pour qu’un deuxième, un troisième, un centième suivent son exemple et que disparaisse ce cercle vicieux de la vie sociale où l’on ne voyait pas d’issue.

Mais les hommes trouvent ce moyen trop long et en cherchent un autre qui puisse les affranchir tous d’un seul coup. C’est comme si les abeilles trouvaient que c’est trop long de se détacher une à une et voulaient que l’essaim tout entier prît son vol d’un seul coup. Mais c’est impossible et tant que la première, la deuxième, la troisième, la centième n’auront pas déployé leurs ailes et ne se seront pas envolées, tout l’essaim sera immobilisé. Tant que chaque chrétien ne vivra pas isolément selon sa doctrine, les nouvelles formes de la vie ne s’établiront pas.

Un des phénomènes étonnants de notre époque, c’est que la propagande de la servitude faite par les gouvernements qui en ont besoin est faite également par les partisans des théories sociales, qui se considèrent comme les apôtres de la liberté.

Ces hommes annoncent que l’amélioration des conditions de la vie, que l’accord de la réalité et de la conscience se fera non par suite des efforts personnels d’individus isolés, mais par une réorganisation violente de la société, qui se produira d’elle-même, on ignore comment. Ils nous disent que nous ne devons pas marcher vers le but sur nos propres jambes, mais qu’il nous faut attendre qu’on introduise sous nos pieds une sorte de parquet mouvant qui nous portera où nous devons aller. C’est pourquoi nous devons demeurer sur place et tendre tous nos efforts vers la création de ce plancher imaginaire.

Au point de vue économique, on soutient une théorie