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maison, de quelque façon qu’on les pose, de même avec ces hommes on ne peut pas organiser une société morale et rationnelle. Ils ne peuvent former qu’un troupeau dirigé par les cris et le fouet du berger. C’est ce qui a lieu.

Et voilà que, d’une part, les hommes qui se disent chrétiens, qui sont partisans de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, sont prêts, au nom de la liberté, à une soumission des plus humiliantes, des plus serviles ; au nom de l’égalité, à diviser les hommes d’après les seuls indices extérieurs et illusoires, en classes supérieures et inférieures, en alliés et ennemis, et au nom de la fraternité à tuer leurs frères[1].

La contradiction entre la conscience et la vie, et, par suite, le dédoublement de notre existence sont arrivés à leur extrême limite. L’organisation de la société basée sur la violence, qui avait pour but d’assurer la vie familiale et sociale, a conduit les hommes à la complète négation et à l’anéantissement de ces avantages.

La première partie de la prophétie a été accomplie par une suite de générations qui n’ont pas accepté la doctrine évangélique, et leurs descendants sont arrivés aujourd’hui à la nécessité absolue d’expérimenter la justesse de la deuxième partie.


  1. Le fait que chez certains peuples, comme les Anglais et les Américains, il n’existe pas de service obligatoire (quoique des voix s’élèvent déjà chez eux pour le réclamer) ne change nullement la situation servile des citoyens par rapport aux gouvernements. Chez nous, chacun doit aller lui-même tuer ou se faire tuer, chez eux, il doit donner son travail pour le recrutement et l’instruction des tueurs.