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fier ma vie, s’il le faut, pour la défense de sa constitution. Le Christ m’ordonne de faire à autrui ce que je voudrais qui me fût fait. La constitution des États-Unis exige de moi de faire à deux millions d’esclaves (alors il y avait des esclaves ; aujourd’hui on peut hardiment mettre à leur place les ouvriers) juste le contraire de ce que je voudrais qu’on me fît, c’est-à-dire aider à les maintenir en esclavage. Et cela ne m’inquiète pas ! Je continue à élire ou à me faire élire, j’aide à diriger les affaires de l’État, je suis même tout prêt à accepter quelque poste gouvernemental. Et cela ne m’empêche pas d’être chrétien ! Je continue à pratiquer ma religion, je ne trouve aucune difficulté pour remplir en même temps mes devoirs envers le Christ et envers l’État !

« Jésus-Christ me défend de résister à ceux qui commettent le mal, et de leur enlever œil pour œil, dent pour dent, sang pour sang, vie pour vie.

« L’état exige de moi juste le contraire et base sa défense contre les ennemis intérieurs ou extérieurs sur le gibet, le fusil et le glaive, et le pays est largement pourvu de potences, d’arsenaux, de navires de guerre et de soldats.

« Pas de moyens de destruction qui soient trop coûteux ! Et nous trouvons très facile de pratiquer le pardon des offenses, d’aimer nos ennemis, de bénir ceux qui nous maudissent, et de faire le bien à ceux qui nous détestent !

« Nous avons pour cela un clergé permanent qui prie pour nous, et appelle les bénédictions de Dieu sur nos saintes tueries.

« Je vois bien tout cela (la contradiction entre la doctrine et les actes), et je continue à pratiquer ma religion et à administrer le pays, et je me glorifie d’être tout ensemble un chrétien et un pieux serviteur fidèle du gou-