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Le sens du discours de M. de Caprivi traduit en langue vulgaire est que l’argent est nécessaire non pas contre l’ennemi extérieur, mais pour acheter des sous-officiers prêts à marcher contre les travailleurs opprimés.

Caprivi a dit involontairement ce que tout le monde sait bien ou ce que sentent ceux qui ne le savent pas, à savoir : que l’ordre de choses actuel est tel non parce qu’il doit être ainsi tout naturellement, non parce que le peuple veut qu’il soit ainsi, mais parce que le gouvernement le maintient ainsi par la violence, appuyé sur l’armée avec ses sous-officiers et ses généraux achetés.

Si le travailleur n’a pas de terre, s’il est privé du droit le plus naturel, celui d’extraire du sol sa subsistance et celle de sa famille, ce n’est point parce que le peuple le veut ainsi, mais bien parce qu’une certaine classe, les propriétaires fonciers, a le droit d’y admettre ou de ne pas y admettre le travailleur. Et cet ordre de choses contre nature est maintenu par l’armée. Si les immenses richesses amoncelées par le travail sont considérées comme appartenant non pas à tous, mais à quelques-uns ; si le prélèvement des impôts et leur emploi sont abandonnés au bon plaisir de quelques personnalités ; si les grèves des ouvriers sont réprimées, et celles des capitalistes protégées ; si certains hommes peuvent choisir les procédés d’éducation (religieuse ou laïque) des enfants ; si certains hommes ont le privilège de faire des lois auxquelles tous les autres doivent se soumettre, et de disposer ainsi des biens et de la vie de chacun, — tout cela a lieu non parce que le peuple le veut et que cela doit être naturellement, mais bien parce que les gouvernements et les classes dirigeantes le veulent ainsi pour leur profit et l’imposent au moyen d’une violence matérielle.

Chacun le sait, ou, s’il ne le sait pas, il l’apprendra à