Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.

térêt général ; au contraire. Quels que soient les moyens employés, on n’a pas pu, jusqu’à présent, réaliser cet idéal de ne confier le pouvoir qu’à des hommes infaillibles, ou seulement d’enlever à ceux qui le détiennent la possibilité de subordonner aux leurs les intérêts de la société.

Tous les procédés connus, et le droit divin, et l’élection, et l’hérédité, donnent tous les mêmes résultats négatifs. Tout le monde sait qu’aucun de ces procédés n’est capable d’assurer la transmission du pouvoir aux seuls infaillibles, ou même d’empêcher l’abus du pouvoir. Tout le monde sait qu’au contraire ceux qui le possèdent — qu’ils soient souverains, ministres, préfets ou sergents de ville — sont toujours, parce qu’ils ont le pouvoir, plus enclins à l’immoralité, c’est-à-dire à subordonner les intérêts généraux à leurs intérêts personnels, que ceux qui n’ont pas le pouvoir. Cela, d’ailleurs, ne peut pas être autrement.

La conception sociale ne pouvait se justifier que tant que les hommes sacrifiaient volontairement leur intérêt aux intérêts généraux ; mais, aussitôt qu’il y en eut qui ne sacrifiaient pas volontairement leur intérêt, on sentit le besoin du pouvoir, c’est-à-dire de la violence, pour limiter leur liberté, et alors est entré dans la conception sociale et dans l’organisation qui en résulte le germe démoralisateur du pouvoir, c’est-à-dire de la violence des uns sur les autres.

Pour que la domination des uns sur les autres atteignît son but, pour qu’elle pût limiter la liberté de ceux qui font passer leurs intérêts privés avant ceux de la société, le pouvoir eût dû se trouver aux mains d’infaillibles, comme cela se suppose chez les Chinois, ou comme on l’a cru au moyen âge et comme le croient encore aujourd’hui ceux qui ont foi dans la grâce de l’onction. Ce