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fusils braqués sur nous de tous les toits. Notre travail est celui des matelots exécutant leur dernière manœuvre quand le vaisseau commence à couler bas. Nos plaisirs sont ceux du condamné auquel on offre un morceau de son choix un quart d’heure avant le supplice. L’angoisse paralyse notre pensée, et le plus bel effort dont elle soit capable, c’est de calculer, en épelant les vagues discours des ministres, en tournant le sens des paroles des souverains, en retournant les mois qu’on prête aux diplomates et que colportent les journaux au hasard incertain de leur information, — si ce sera demain ou après-demain, cette année ou l’année prochaine qu’on nous égorgera. En sorte qu’on chercherait en vain dans l’histoire une époque plus incertaine et plus lourde d’angoisses… »

(Le Sens de la Vie, pages 208-213.)


Il ressort de ces lignes que la force est entre les mains de ceux qui se perdent eux-mêmes, entre les mains des individus isolés qui composent la masse, et que la source du mal est dans l’état. Il semble évident que la contradiction entre la conscience et la vie a atteint des limites qui ne peuvent pas être dépassées et où la solution s’impose.

Mais l’auteur n’est pas de cet avis. Il voit le tragique de la vie humaine, et, après avoir montré toute l’horreur de la situation, il conclut que c’est dans cette horreur que doit se passer la vie humaine.

Telle est la manière de voir de cette deuxième catégorie d’écrivains, qui considèrent la guerre comme quelque chose de fatal.

La troisième catégorie est celle des hommes qui ont perdu la conscience et, par suite, le bon sens et tout sentiment humain.