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membres des gouvernements le déclarent aussi, de même que les organes officiels et les particuliers ; on en parle dans les chambres de députés, dans les correspondances diplomatiques et même dans les traités qu’on conclut. La paix est dans toutes les bouches, et cependant les gouvernements augmentent chaque année leurs armements, introduisent de nouveaux impôts, font des emprunts et élèvent outre mesure leurs dettes, laissant aux générations à venir le soin de réparer toutes les erreurs de notre politique insensée. Quel contraste lamentable entre les paroles et les actions ! Et que font les gouvernements pour se justifier de leurs armements et du déficit de leurs budgets ? Ils mettent absolument tout sur le compte exclusif de la défense ! Mais voici le point obscur, ce qu’aucun homme impartial ne peut ni ne pourra comprendre : d’où viendra l’attaque si, dans leur politique, toutes les grandes puissances ne visent unanimement qu’à la défense ? Cependant il est évident que chacune de ces puissances est à tout moment prête à attaquer les autres. Voilà ce qui cause une méfiance générale, ainsi que les efforts surhumains de chaque état pour surpasser en forces militaires tous les autres : c’est à qui présentera sur le champ de bataille la masse la plus imposante.

Une telle rivalité est par elle-même le plus grand danger de guerre : les peuples ne peuvent prolonger cet état de choses à l’infini et ils devront tôt ou tard préférer la guerre à la tension dans laquelle ils vivent à présent et à cette ruine qui les menace. Alors le prétexte le plus futile suffira pour embraser du feu de la guerre toute l’Europe d’un bout à l’autre. Et c’est en vain que l’on espère nous guérir par cette crise des calamités politiques et économiques qui nous accablent. L’expérience des dernières guerres nous a montré assez que chacune d’elles a rendu la haine entre les peuples plus profonde,