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résulte de toute l’organisation de ma vie et qu’on ne doit, comme je le sais, ni condamner ni punir. Nous sommes tous frères, — et je vis du traitement qui m’est alloué pour percevoir des impôts de travailleurs besogneux et les employer au bien-être des oisifs et des riches. Nous sommes tous frères, — et je reçois un traitement pour prêcher aux hommes une prétendue foi chrétienne à laquelle je ne crois pas moi-même et qui les empêche de connaître la véritable ; je reçois un traitement comme prêtre, évêque, pour tromper les hommes dans la question la plus essentielle pour eux. Nous sommes frères, mais je ne fournis au pauvre que pour de l’argent mon travail de pédagogue, de médecin, de littérateur. Nous sommes tous frères, — et je reçois un traitement pour me préparer à l’assassinat ; j’apprends à assassiner, je fabrique des armes, de la poudre, je construis des forteresses.

Toute la vie de nos classes supérieures est une constante contradiction, d’autant plus douloureuse pour un homme que sa conscience est plus sensible et plus haute.

L’homme doué d’une conscience impressionnable ne peut pas ne pas souffrir d’une pareille vie. Le seul moyen de se débarrasser de cette souffrance est d’imposer silence à sa conscience ; mais, si quelques-uns y réussissent, ils ne réussissent pas à imposer silence à leur peur.

Les hommes des classes supérieures oppressives, dont la conscience est peu impressionnable ou qui ont su la faire taire, s’ils n’en souffrent pas, souffrent de la peur ou de la haine, et ils ne peuvent pas ne pas souffrir. Ils connaissent toute la haine que nourrissent contre eux les classes laborieuses ; ils n’ignorent pas que les ouvriers se savent trompés et exploités et qu’ils commencent à s’organiser pour secouer l’oppression, et se