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hommes. Elle a passé par diverses formes et est entrée aujourd’hui dans le domaine de l’inconscience par l’hérédité, l’éducation, l’habitude. C’est pourquoi elle nous semble naturelle. Mais il y a cinq mille ans, elle paraissait aux hommes aussi peu naturelle et aussi effrayante que la doctrine chrétienne, dans son véritable sens, le leur semble aujourd’hui.

Il nous semble aujourd’hui que les exigences du christianisme, la fraternité universelle, la suppression des nationalités, la suppression de la propriété, le précepte si étrange de la non-résistance au mal par la violence, sont inacceptables. Mais elles semblaient aussi inacceptables, il y a des milliers d’années, toutes les exigences de la vie sociale, même celles de la vie familiale telles que l’obligation pour les parents de nourrir leurs enfants, et pour les jeunes de nourrir les vieux, l’obligation pour les époux d’être fidèles l’un à l’autre. Plus étranges encore, insensées même, semblaient les exigences sociales diverses, comme l’obligation pour les citoyens de se soumettre au pouvoir, de payer les impôts, de faire la guerre pour la défense de la patrie, etc. Toutes ces exigences nous paraissent aujourd’hui simples, compréhensibles, naturelles, et nous n’y voyons rien de mystique ou d’effrayant. Cependant, il y a cinq ou trois mille ans, elles semblaient inadmissibles.

La conception sociale servait justement de base aux religions parce que, à l’époque où elle a été proposée aux hommes, elle leur paraissait absolument incompréhensible, mystique et surnaturelle. Aujourd’hui, ayant traversé cette phase de la vie humaine, nous comprenons les causes rationnelles du groupement humain en familles, communautés, états ; mais, dans l’antiquité, la nécessité de pareilles réunions a été présentée au nom du surnaturel et confirmée par lui.