Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il est vrai, que les hommes pussent aimer l’humanité autant qu’ils aiment la famille. Il serait très profitable de remplacer, comme le désirent les communistes, la concurrence entre les hommes par une organisation communale, ou la propriété individuelle par la propriété universelle, pour que chacun pût travailler pour tous, et tous pour chacun ; seulement il n’y a pour cela aucun motif. Les positivistes, les communistes et tous les apôtres de la fraternité scientifique prêchent l’extension, à l’humanité tout entière, de l’amour que les hommes éprouvent pour eux-mêmes, pour leur famille et pour l’état ; ils oublient que cet amour qu’ils prêchent est un amour personnel, qui a pu en grandissant comprendre la famille, puis s’élargir davantage et aller jusqu’à l’amour d’une patrie naturelle, mais qui disparaît complètement en présence d’un état artificiel comme l’Autriche, l’Angleterre, la Turquie, et que nous ne pouvons pas même nous représenter lorsqu’il s’agit de toute l’humanité, conception absolument mystique.

« L’homme s’aime lui-même, sa personnalité animale ; il aime sa famille, il aime même sa patrie. Pourquoi n’aimerait-il pas également toute l’humanité ? Comme ce serait beau ! Justement le christianisme l’enseigne aussi. » Ainsi pensent les partisans de la fraternité positiviste, communiste et socialiste. En effet, ce serait très beau, mais cela ne peut pas être, parce que l’amour basé sur la conception personnelle et sociale de la vie ne peut pas aller plus loin que l’amour pour la patrie.

L’erreur du raisonnement consiste en ce que la conception sociale de la vie, sur laquelle est basé l’amour pour la famille et la patrie, se fonde elle-même sur l’amour de la personnalité, et que cet amour s’étendant de la personnalité à la famille, à la race, à la nation,