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ce corridor. Derrière la porte, on entendait les mouvements retenus non pas d’un homme, mais de nombreuses personnes. Lui était auprès du jeune tzar, dont il pressa légèrement l’épaule de sa douce main, le poussant en avant, devant la sentinelle, vers la porte fermée. Le jeune tzar sentit qu’il ne pouvait résister et s’approcha de la porte. À son grand étonnement la sentinelle le regardait en face et ne le voyait apparemment pas, car, non seulement elle ne se redressa pas et ne fit pas le salut, mais encore bâilla fortement et se mit à gratter sa nuque à deux mains. Il y avait une petite ouverture dans la porte, et, obéissant à la pression de la main qui le dirigeait vers cette ouverture, le jeune tzar avança et approcha son œil. L’odeur suffocante et pénible était encore plus prononcée à la porte, et le jeune tzar ne se décidait pas à s’en approcher davantage, mais la main continuait à le presser. Il se baissa légèrement, approcha l’œil de l’ouverture et soudain il cessa de percevoir l’odeur. Ce qu’il voyait, étouffa en lui le sens de l’odorat. Dans une grande pièce, longue de dix archines et large de six, six hommes vêtus de caftans gris, les pieds nus dans des chaussons, se promenaient sans relâche de long en large. Il y avait beaucoup de monde dans cette pièce, plus de vingt personnes ; mais, au premier moment, le jeune tzar n’aperçut que ceux qui marchaient ainsi d’un pas rapide, égal, léger et assourdi. Le mouvement de ces hommes, sans but, rapide et ininterrompu, était très étrange et même terrible : ils se dépassaient les uns les autres, se rattrapaient, tournaient vivement quand ils avaient atteint le mur, et ne se