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d’école. Le regard de la femme le troubla. Néanmoins il résolut de s’introduire chez elle et de s’emparer de l’argent qu’elle avait touché. La nuit, il brisa la serrure et pénétra dans la maison. La fille cadette, mariée, l’entendit la première. Elle se mit à crier. Stepan, aussitôt, la tua. Le beau-frère s’éveilla et se jeta sur lui. Il saisit Stepan à la gorge et longtemps lutta avec lui. Mais Stepan était le plus fort. S’étant débarrassé du beau-frère, Stepan, ému, excité par la lutte, passa derrière la cloison. Marie Sémionovna couchait là. Soulevée sur son séant, elle regardait Stepan avec des yeux effrayés, doux, et se signait.

De nouveau son regard troubla Stepan. Il baissa les yeux.

— Où est l’argent ? dit-il sans la regarder.

Elle ne répondit pas.

— Où est l’argent ? répéta Stepan, en montrant le couteau.

— Que fais-tu ? Peut-on faire cela ? prononça-t-elle.

— Ça se voit qu’on le peut.

Stepan s’approcha d’elle prêt à lui saisir le bras pour qu’elle ne le gênât pas. Mais elle ne leva point les bras, ne résista point, serra seulement ses mains contre sa poitrine, soupira profondément et répéta :

— Oh ! Quel grand péché ! Que fais-tu ? Aie pitié de toi-même ! perdre les âmes des autres, mais pire encore tu perdras la tienne ! Oh ! s’écria-t-elle.

Stepan, ne pouvant supporter davantage cette voix, lui porta un coup à la gorge.

— Je n’ai pas le temps d’écouter vos histoires !

Elle retomba en râlant sur l’oreiller et l’inonda de son sang.