— Pourquoi les autres n’ont-ils pas frappé, et avez-vous été seul à le faire ? lui demanda le procureur.
— Ce n’est pas vrai ! Tous frappaient. Toute la commune avait décidé de le tuer. Moi je n’ai fait que l’achever. Pourquoi le faire souffrir inutilement ?
Ce qui surprenait le juge en Stepan, c’était le calme absolu avec lequel il racontait comment on avait frappé Ivan Mironoff et comment il l’avait achevé. Stepan, en effet, ne voyait en ce meurtre rien de terrible. Étant au régiment, il lui était arrivé de faire partie d’un peloton d’exécution et de fusiller un soldat, et alors, comme dans le meurtre d’Ivan Mironoff, il n’avait vu là rien de terrible. On a tué, et voilà tout. Aujourd’hui son tour, demain le mien.
Stepan n’eut qu’une condamnation légère : un an de prison. On lui enleva son habit de paysan, que l’on rangea sous un numéro dans le dépôt de la prison, et on lui fit mettre la capote et les chaussons des prisonniers. Stepan n’avait jamais eu beaucoup de respect pour les autorités, mais à présent, il acquérait la conviction intime que toutes les autorités, tous les messieurs, sauf le Tzar qui seul est juste et a pitié du peuple, que tous ne sont que des brigands qui vivent du sang du peuple. Les récits des déportés et des forçats avec lesquels il se liait dans la prison, confirmaient cette opinion. L’un était condamné au bagne parce qu’il avait dénoncé la concussion des autorités ; l’autre parce qu’il avait frappé un chef qui avait saisi, injustement, le bien des paysans ; un troisième parce qu’il avait fait de faux billets. Les messieurs, les marchands, pou-