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hommes ayant quelque agrément. Elle n’était animée et heureuse que quand elle était amoureuse. Sortie de pension, elle continua à s’éprendre de tous les jeunes gens qu’elle rencontrait, et, naturellement, devint amoureuse d’Eugène aussitôt qu’elle eut fait sa connaissance. C’était cet état amoureux qui donnait à ses yeux l’expression particulière qui charmait tant Eugène.

Ce même hiver, elle était amoureuse à la fois de deux jeunes gens, et rougissait, se troublait, non seulement quand ils entraient dans la pièce où elle se trouvait, mais même quand on prononçait leurs noms. Mais dès que sa mère lui laissa à entendre qu’Irténieff semblait avoir des intentions sérieuses, son amour pour lui grandit en de telles proportions qu’elle devint presque indifférente pour les deux autres ; et quand Irténieff commença à venir chez eux, quand aux bals, aux soirées, il dansa avec elle plus qu’avec d’autres, et, visiblement, ne chercha plus à savoir qu’une chose : s’il était aimé, alors elle se passionna pour lui d’une façon presque maladive. Elle le voyait en rêve, et même croyait le voir en réalité, quand elle se trouvait dans un endroit obscur ; et aucun autre n’exista plus pour elle. Aussitôt après la demande en mariage et la bénédiction des parents, quand ils s’embrassèrent et furent fiancés, une seule pensée, un seul désir, remplaça en elle toutes les autres pensées, tous les autres désirs : rester avec lui, l’aimer, en être aimée. Elle était fière de lui ; elle s’attendrissait sur lui et sur soi-même, et sa tendresse pour elle la faisait se pâmer d’amour pour lui. Tant qu’à Eugène, plus il la connaissait plus il l’aimait. Il ne s’était point attendu à rencontrer un amour