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le vendre aussi ; mais en vain cherchait-il un acheteur, personne n’en voulait. Il tombait sur des citadins expérimentés qui connaissaient le truc habituel des paysans qui prétendent avoir amené de la campagne le bois qu’ils vendent. Il avait faim, froid dans son paletot de peau de mouton usé et son armiak déchirée. Le froid, vers le soir, avait atteint 20 degrés. Son petit cheval, dont il n’avait pas pitié parce qu’il avait l’intention de le vendre à l’équarrisseur et qu’il rudoyait, s’arrêta net. De sorte qu’Ivan Mironoff était prêt à vendre son bois, même à perte, quand il rencontra sur son chemin Eugène Mikhaïlovitch qui était sorti acheter du tabac et rentrait à la maison.

— Prenez, monsieur… Je vendrai bon marché… Mon cheval n’en peut plus…

— Mais d’où viens-tu ?

— Nous sommes de la campagne… C’est du bois à nous… Du bon bois sec…

— Oui, on le connaît… Eh bien ! combien en veux-tu ?

Ivan Mironoff fixa le prix ; puis commença à rabattre, et, enfin, laissa le bois au prix coûtant.

— C’est bien pour vous, monsieur… et parce qu’il ne faut pas l’amener trop loin…, dit-il.

Eugène Mikhaïlovitch n’avait pas trop marchandé, se réjouissant à l’idée de passer le coupon.

À grand-peine, en poussant lui-même le traîneau, Ivan Mironoff amena le bois dans la cour et se mit à le décharger sous le hangar. Le portier n’était pas là.

Ivan Mironoff hésita d’abord à prendre le coupon. Mais Eugène Mikhaïlovitch parla d’une façon si convaincante, et paraissait un monsieur si important, qu’il consentit enfin à l’accepter.