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mettez jamais dans ma situation… Alors, il faut que j’agisse en lâche… C’est bien à vous…

— Va-t’en, vaurien ! Va-t’en ! Tu mériterais d’être fouetté…

Fédor Mikhaïlovitch bondit et se jeta vers son fils.

Le fils s’effraya et devint méchant. Mais la méchanceté surpassa l’effroi, et, tête baissée, il gagna rapidement la porte. Fédor Mikhaïlovitch n’avait pas voulu le frapper, mais il était content de sa colère, et longtemps encore, il l’accompagna de ses injures.

Quand la femme de chambre vint prévenir Fédor Mikhaïlovitch que le dîner était servi, il se leva.

— Enfin ! dit-il. Mon appétit est déjà passé.

Et, les sourcils froncés, il alla dîner.

À table, sa femme lui adressa la parole, mais il répondit si peu aimablement et d’une façon si brève qu’elle se tut. Le fils aussi, le nez dans son assiette, se taisait. On mangea en silence ; en silence on se leva de table et en silence on se sépara.

Après le dîner, le lycéen retourna dans sa chambre, tira de sa poche le coupon et la menue monnaie, et jeta le tout sur la table. Ensuite il enleva son uniforme, et se mit en veston ; puis il alla prendre une grammaire latine très usée, ensuite ferma la porte au verrou, mit l’argent dans le tiroir, duquel il retira des gaines à cigarettes, en remplit une, la boucha d’ouate et se mit à fumer. Il resta sur sa grammaire et ses cahiers pendant deux heures, ne comprenant rien à ce qu’il lisait ; puis il se leva et se mit à piétiner de long en large dans sa chambre, se remémorant la scène qu’il avait eue avec son père.