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fait froides de la part de sa fille. Elle avait l’air offensée de quelque chose.

« Et comme j’avais raison, pensait-il. C’est une nature mauvaise, une éhontée. »

Enfin le dernier et terrible souvenir : la lettre datée de Moscou dans laquelle elle écrivait qu’elle ne pouvait plus retourner à la maison, qu’elle était une femme malheureuse, perdue, et demandait le pardon et l’oubli. Puis l’affreux souvenir de sa conversation avec sa femme, les suppositions répugnantes, devenant certitudes, que le malheur était arrivé en Finlande, où on l’avait envoyée passer quelques temps chez une tante, et que l’auteur de ce malheur était un étudiant de rien, un Suédois, misérable et marié.

Il se rappelait tout cela, et il se rappelait aussi son amour d’autrefois pour elle, sa fierté d’elle, puis s’horrifiait au souvenir de cette chute, qu’il ne pouvait comprendre, et la haïssait à cause du mal qu’elle lui avait fait.

Les paroles de sa belle-sœur lui revenaient en tête, et il essayait de se représenter comment il pourrait lui pardonner. Mais il ne se souvenait que de « lui », et l’horreur, le dégoût, l’humiliation remplissaient son cœur. Et il s’écriait : Oh ! oh ! et tâchait de chasser ces pensées.

« Non, c’est impossible, je laisserai l’argent à Pierre pour qu’il le lui remette chaque mois. Quant à moi, je n’ai plus de fille ! »

Et de nouveau il retombait dans l’ornière de ce sentiment bizarre, complexe, qui sans cesse le tourmentait, mélange d’attendrissement, au souvenir de son affection pour elle, et de haine, à cause de la douleur qu’elle lui causait.