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grondait parce qu’il ne mangeait pas en même temps que les autres, cependant elle avait pitié de lui et lui gardait quelque chose de chaud pour le dîner et le souper. Il y avait surtout beaucoup à faire les veilles de fêtes et les jours de fêtes. Mais Aliocha aimait les fêtes parce qu’on lui donnait des pourboires, peu, il est vrai : il se faisait à peu près soixante kopecks ; mais c’était de l’argent pour lui. Quant à ses gages, il ne les avait jamais vus. Le père venait, recevait l’argent du marchand, et Alexis fut seulement grondé pour avoir si vite usé les bottes.

Quand il eut amassé deux roubles avec ses pourboires, il acheta, sur le conseil de la cuisinière, une blouse rouge, tricotée, et quand il l’eut endossée, il demeura bouche bée de plaisir. Alexis causait peu, et quand il parlait c’était très brièvement et sans regarder son interlocuteur. Quand on lui ordonnait de faire quelque chose ou qu’on lui demandait s’il pouvait faire tel ou tel travail, toujours, sans la moindre hésitation, il répondait qu’il le pouvait et s’y mettait aussitôt.

Il ne savait aucune prière. Il avait oublié celles que lui avait apprises sa mère, néanmoins il priait matin et soir, et sa prière consistait en gestes des mains.

Il vécut ainsi une année et demie. Au cours de la seconde moitié de cette deuxième année, il lui advint l’événement le plus extraordinaire de sa vie. Voici lequel. À son étonnement, il apprit que, sauf les rapports basés sur le besoin que chacun a d’un autre, il y a encore, entre les gens, des rapports tout particuliers. Ce n’est ni pour l’aider, ni pour qu’on lui nettoie ses bottes, ni pour porter un achat, ni pour atteler un cheval