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— Ah ! mais c’est terrible, ce que vous dites là. Il existe, pourtant, parmi les humains, ce sentiment qu’on nomme l’amour, et qui dure non pas des mois et des années, mais toute la vie ?

— Non, ça n’existe pas. Si l’on admettait même que Ménélas eût préféré Hélène pour toute la vie…, Hélène aurait préféré Pâris, et ce fut, c’est et sera ainsi éternellement. Et il n’en saurait être autrement, de même qu’il ne peut pas arriver que, dans un chargement de pois chiches, deux pois marqués d’un signe spécial viennent se mettre l’un à côté de l’autre. En outre, ce n’est pas seulement une improbabilité, mais une certitude que la satiété viendra d’Hélène ou de Ménélas. Toute la différence est que chez l’un cela arrive plus tôt, chez l’autre plus tard. C’est seulement dans les sots romans qu’on écrit « qu’ils s’aimèrent pour toute la vie ». Et il n’y a que des enfants qui peuvent le croire. Aimer quelqu’un ou quelqu’une toute sa vie, c’est comme qui dirait qu’une chandelle peut brûler éternellement.