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à disparaître. Pas même disparaître. On eût dit qu’elle se réveillait d’une longue ivresse, qu’elle avait aperçu en revenant à elle tout l’univers avec ses allégresses, tout un monde où elle n’avait pas appris à vivre et qu’elle ne comprenait pas.

« Pourvu que ce monde ne s’évanouisse pas ! Quand le temps est passé, quand la vieillesse arrive, on ne peut plus le faire revenir. » C’est ainsi, je crois, qu’elle pensait, ou plutôt qu’elle sentait. D’ailleurs, elle ne pouvait ni penser ni sentir autrement. Elle avait été élevée dans cette idée qu’il n’y a dans le monde qu’une chose digne d’attention, l’amour. En se mariant, elle avait connu quelque chose de cet amour, mais bien loin de tout ce qu’elle avait cru lui être promis, de tout ce qu’elle attendait. Que de désillusions, de souffrances, et une torture inattendue, les enfants. Cette torture l’avait exténuée, et voilà que, grâce au serviable docteur, elle avait appris qu’on peut se passer de faire des enfants. Cela l’avait rendue joyeuse. Elle avait essayé et