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personnes les plus étrangères, nous causions sur les sujets les plus différents et les plus intimes, mais pas entre nous. Parfois, en écoutant ma femme parler devant moi avec d’autres, je me disais : « En voilà une femme, tout ce qu’elle dit est mensonge ! » Et je m’étonnais de ce que son interlocuteur ne s’aperçût pas qu’elle mentait. En tête à tête, nous étions condamnés au silence, ou à des conversations que, j’en suis sûr, des animaux pourraient avoir entre eux !

« Quelle heure est-il ?… Il est temps de se coucher !… Qu’y a-t-il au dîner aujourd’hui ?… Où irons-nous ?… Qu’y a-t-il dans le journal ?… Il faut envoyer chercher le médecin, Lise a mal à la gorge. »

Il suffisait de sortir de ce cercle, étroit à l’extrême, de conversation, pour que l’irritation éclatât. La présence d’une tierce personne nous allégeait, car par un intermédiaire nous pouvions encore communier. Elle, probablement, croyait toujours avoir raison. Quant à moi, à mes yeux, j’étais un saint auprès d’elle.