Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

États (en Angleterre, en Amérique), on loue les hommes pour cette même besogne.

Et les hommes placés dans cette situation non seulement ne voient pas leur esclavage mais ils en sont fiers ; ils sont fiers d’être les citoyens libres de grands pays, de l’Angleterre, de la France, de l’Allemagne, de même que les valets s’enorgueillissent de l’importance des maîtres qu’ils servent.

Un homme moralement sain, non affaibli, se trouvant dans cette situation horrible, humiliante, devrait, semble-t-il, se dire : « Mais pourquoi diable exécuterais-je tout cela ? Je veux vivre de la meilleure façon, je veux décider moi-même, ce qui m’est agréable et ce que je dois faire. Laissez-moi tranquille avec votre Russie, votre France, votre Angleterre, que ceux qui en ont besoin les gardent, moi je n’en ai que faire. Par force vous pouvez me prendre tout ce que vous voulez ; vous pouvez me tuer, mais je ne veux pas, volontairement, participer à mon asservissement ! » Il semblerait naturel d’agir de la sorte, mais personne ne le fait. Les uns, les citadins, n’agissent pas ainsi parce que leurs intérêts sont tellement liés à ceux des classes dominantes que leur asservissement leur paraît avantageux. M. Rockefeller ne peut pas désirer renoncer à l’obéissance aux lois du pays qui lui donnent la possibilité de gagner et de conserver des milliards en dépit des intérêts de la masse du peuple. De même le directeur des entreprises de M. Rockefeller, ses employés et les sous-ordres de ceux-ci ne peuvent le désirer. C’est ainsi au point de vue des citadins. Ce sont, relativement aux paysans, d’anciens valets de gentilshommes, dont les emplois sont avantageux ; leur asservissement leur est utile.