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mença ce travail invisible, sourd, impossible à mesurer, de l’affranchissement de la conscience.

Telle était la situation du peuple russe quand survint la guerre russo-japonaise, guerre cruelle qui n’avait aucune justification. Mais voilà que, avec l’augmentation du nombre des lettrés, le mécontentement général et, principalement, la nécessité d’appeler, pour la première fois, des centaines de mille hommes âgés, arrachés de leur famille et du travail raisonnable (les réservistes), pour une œuvre évidemment folle et cruelle, cette guerre fut la poussée qui transforma le travail invisible, sourd, intérieur, en conscience claire de l’illégitimité, de la culpabilité du gouvernement. Et cette conscience s’exprima et s’exprime, dans les phénomènes les plus variés et les plus importants, tels que le refus des réservistes de partir pour l’armée, les désertions, le refus de se battre et de tuer, surtout de tirer sur les siens pendant les répressions des révoltes, et, principalement, le nombre sans cesse croissant des réfractaires.

Aux Russes de notre temps, du moins à leur immense majorité, paraît en toute son importance, cette question : Faut-il, devant Dieu et devant sa conscience, obéir au gouvernement qui exige des œuvres contraires à la loi chrétienne ? Et cette question, qui est née pour le peuple russe, est une des causes de la grande et universelle transformation qui se prépare et qui, peut-être même, est déjà commencée.