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les vrais rapports chrétiens envers le pouvoir par la doctrine de l’orthodoxie gouvernementale, l’esprit chrétien, et la différence entre la soumission et l’obéissance au pouvoir, continue à vivre dans la grande majorité du peuple russe travailleur. Le désaccord entre la violence gouvernementale et le christianisme n’a jamais cessé d’être sensible à la majorité des Russes, surtout aux chrétiens les plus avisés, ceux qui n’appartiennent pas à la doctrine déformée de l’orthodoxie, ceux qu’on appelle les schismatiques.

Ces chrétiens de divers noms ne reconnaissent pas la légitimité du pouvoir gouvernemental. La majorité, par peur, se soumit aux exigences du gouvernement, qu’elle reconnaissait illégitime, mais quelques-uns, une petite partie, par diverses ruses tournèrent ces exigences et s’en affranchirent. Quand, par le moyen du service militaire obligatoire, la violence gouvernementale parut lancer un défi à tous les vrais chrétiens, en exigeant que chaque homme fût prêt au meurtre, alors plusieurs Russes orthodoxes comprirent le désaccord du christianisme avec le pouvoir. Et les chrétiens non orthodoxes, de confessions les plus diverses, commencèrent à refuser carrément le service militaire. Ces refus, il est vrai, furent peu nombreux (à peine un sur mille), néanmoins leur importance était très grande, car ils provoquèrent de la part du gouvernement des persécutions et de cruels supplices qui ouvrirent les yeux non plus seulement aux schismatiques, mais à tous les Russes, si bien que l’immense majorité, qui jusqu’alors n’avait pas pensé à la contradiction existant entre les lois divines et les exigences non chrétiennes du gouvernement, l’aperçut. Et aussitôt, dans la majorité du peuple russe, com-