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La légende de l’appel des Variags, composée évidemment après que ceux-ci eurent conquis les Slaves, exprime très bien les rapports des Russes envers le pouvoir, même avant le christianisme. « Nous ne voulons pas participer au péché du pouvoir. Si cela ne vous semble pas un péché, venez et gouvernez-nous. » C’est par cette façon d’envisager le pouvoir que s’explique cette obéissance des Russes aux potentats les plus cruels et les plus fous, souvent même d’origine étrangère, à commencer par Ivan IV jusqu’à Nicolas II.

Tel le peuple russe envisageait le pouvoir et s’en rapportait à lui, dans l’antiquité, tel sa majorité l’envisage maintenant. Il est vrai que les Russes, comme les autres peuples, furent en butte aux tromperies de l’hypnotisme et de la suggestion, par lesquelles on força les chrétiens, insensiblement, à se soumettre puis à obéir au pouvoir pour des œuvres contraires au christianisme, mais ces tromperies n’ont atteint que les couches supérieures, corrompues, du peuple et la majorité a toujours la même opinion du pouvoir et croit mieux de supporter la violence que d’y participer.

J’attribue ce rapport du peuple russe envers le pouvoir à ce que le vrai christianisme, en tant que doctrine de la fraternité, de l’égalité, de l’humilité et de l’amour, le christianisme qui établit une différence nette entre la soumission et l’obéissance à la violence, s’est mieux conservé chez le peuple russe que chez les autres.

Le vrai chrétien peut se soumettre ; il ne peut ni lutter contre le pouvoir ni lui obéir, c’est-à-dire reconnaître sa légitimité. Malgré tous les soins des gouvernements, en général, et du gouvernement russe, en particulier, pour remplacer