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dès qu’il lutte contre la violence, par cela même se prive de la liberté, puisque, admettant l’emploi de la violence contre les autres, il l’admet contre soi-même. C’est pourquoi il a pu se soumettre à cette violence contre laquelle il luttait. Et fût-il même vainqueur, une fois dans le domaine de la lutte extérieure, il resterait en danger d’être, plus tard, vaincu par un plus fort.

Seul peut être libre celui qui se donne pour but l’accomplissement de la loi supérieure, commune à toute l’humanité et pour laquelle ne peuvent être d’obstacles. L’unique moyen de diminuer la violence dans le monde et d’atteindre l’absolue liberté, c’est la tolérance docile, sans luttes, de n’importe quelle violence.

La doctrine chrétienne a proclamé la loi de la liberté absolue de l’homme, mais avec la condition nécessaire de se soumettre à la loi supérieure, sans restriction : « Et ne craignez point ceux qui ôtent la vie du corps, et qui ne peuvent faire mourir l’âme ; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et l’âme et le corps dans la géhenne. » (Matthieu, x-28.)

Ceux qui acceptent cette doctrine dans son vrai sens et obéissent à la loi supérieure sont libres de toute autre obéissance. Ils supportent docilement la violence des hommes, mais ne leur obéissent pas quand il s’agit d’œuvres qui ne sont point d’accord avec la loi supérieure. C’est ainsi qu’agissaient les premiers chrétiens, quand ils étaient en petit nombre parmi les peuples païens.

Ils refusaient d’obéir aux gouvernements dans les œuvres qui n’étaient pas d’accord avec la loi supérieure qu’ils appelaient la loi de Dieu. Ils étaient pour ce fait poursuivis et suppliciés, mais ils n’obéissaient pas aux hommes et étaient libres.