Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La révolution violente a vécu. Tout ce qu’elle pouvait donner aux hommes elle l’a déjà donné, et, en même temps, elle a montré ce qu’elle ne peut pas atteindre.

La révolution qui commence en Russie, chez un peuple tout à fait particulier en sa physionomie, et non en 1793 mais en 1905, ne peut nullement avoir le même but et se réaliser par les mêmes moyens que les révolutions qui ont eu lieu soixante, quatre-vingts, cent ans auparavant, parmi les Germains et les Romains, d’un caractère moral tout autre.

Le peuple russe agriculteur compte cent millions d’âmes. C’est en lui que consiste tout le peuple. Il a besoin non de doumas, non de libertés quelconques, dont la nomenclature montre en toute évidence l’absence de la simple vérité, non du remplacement d’un pouvoir violent par un autre, mais de la liberté absolue, de l’affranchissement complet de tout pouvoir imposé.

L’objet de cette révolution qui enflamme tout le monde n’est pas l’établissement d’impôts sur le revenu et autres, la séparation des Églises et de l’État, l’accaparement par l’État des institutions sociales, l’organisation des élections, la participation, soi-disant du peuple au pouvoir, l’institution de la république la plus démocratique, même socialiste, avec le suffrage universel, mais la vraie liberté.

Et la liberté réelle, non imaginaire, ne s’obtient pas par les barricades, les meurtres, par n’importe quelle institution nouvelle introduite violemment, elle ne s’obtient que par le refus d’obéissance à n’importe quel pouvoir humain.