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il invente des sophismes compliqués pour justifier l’union impossible de l’État et du christianisme, il établit des rites solennels qui hypnotisent le peuple. Et depuis des siècles la majorité des hommes vit se croyant chrétienne, et ne soupçonne même pas la centième partie de l’importance du vrai christianisme. Mais le prestige de l’État, quelque grand et durable que soit son triomphe, quelque cruellement qu’il opprime le christianisme ne peut étouffer la vérité qui révèle à l’homme son âme et qui fait l’essence du christianisme. Plus cette situation durait, plus s’établissait nettement la contradiction existant entre la doctrine chrétienne de l’humilité et de l’amour, et l’État, institution d’orgueil et de violence. La digue la plus grande ne peut retenir la source d’eau courante ; inévitablement l’eau se frayera un chemin : elle passera par-dessus la digue, ou la détruira, ou la contournera. Ce n’est qu’une question de temps.

Ce fut ainsi avec le vrai christianisme caché par le pouvoir de l’État. L’État, pendant longtemps, a retenu l’eau courante, mais le temps est venu et le christianisme détruit la digue qui la retenait et en entraîne les débris.

Et je vois les indices extérieurs que ce temps est venu juste maintenant, dans la victoire facile, presque sans luttes, remportée par les Japonais sur les Russes, et dans les émeutes qui, en même temps que cette guerre, ont soulevé toutes les classes du peuple russe.