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Karénine ». Il y eut encore des interruptions, quoique moins considérables, dans l’année 1880, pendant lesquelles le conflit entre sa conception du monde et celle de son entourage prit une acuité toute particulière. Enfin, en 1899, il n’a fait de notes que pour douze jours au total, absorbé qu’il était certainement par « Résurrection ». Ces interruptions déduites, il nous reste toujours plus de cinquante années qui font du journal une œuvre considérable.

Jetons un coup d’œil sur le développement de la pensée de Tolstoï dans cette œuvre. En la parcourant, nous remarquons que plus l’auteur avance en âge, plus la partie spéculative prédomine sur le côté épisodique. L’intérêt de Tolstoï pour la vie extérieure diminuait en proportion du développement de la puissance et de sa vie spirituelle. On suit nettement l’évolution de Tolstoï. Voici une page de son journal intime qu’il m’a communiquée en 1889 :

« L’homme traverse trois phases dans sa vie. Dans la première phase, l’homme ne vit que pour la satisfaction de ses passions animales : nourriture, boisson, plaisir, chasse, convoitise, vanité, orgueil ; et l’existence est remplie. Cette période dans ma vie se prolongea jusqu’à mes cheveux gris. Puis vint la période de la vie pour les autres, pour l’humanité entière. J’y ai débuté par mon activité pédagogique. Avec le mariage cette activité se ralentit ; mais quelque temps après elle reprit de plus belle avec une nouvelle et terrible force, quand je fus arrivé à comprendre la vanité de ma vie personnelle. Alors toute ma conscience religieuse se concentra sur le bien d’autrui, sur une activité