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promptu, inachevé… phrases obscures, dont les obscurités viennent du fait que la pensée en élaboration n’est pas encore sortie de sa gangue. Il y a des tâtonnements dans la pensée. Nous aurions trahi et l’auteur et ceux qui veulent étudier son évolution mentale en dissimulant ces tâtonnements. C’est au reste un des intérêts les plus palpitants de ce journal de voir se préciser peu à peu, devenir roc et granit ce qu’on a vu quelques mois plus tôt n’être que sable mouvant ; voir graduellement, douloureusement, les brumes de l’esprit se dissiper pour faire place à l’éclatante lumière d’une certitude.

On sera particulièrement frappé de cette progression dans la pensée en suivant la question de l’irréalité de la matière, soupçonnée au début de ce volume et qui atteint, à la fin, la puissance de l’affirmation avec toutes ses déductions et ses conséquences logiques.

Les traducteurs ont donc considéré comme leur premier devoir de sacrifier l’élégance de la phrase à la fidélité du rendu de la pensée. Ils ne se sont pas permis d’interpréter ni n’ont cherché à rendre clair ce qui, dans le manuscrit de Tolstoï, était obscur. Ils n’ont fait ni du style, ni de la poésie, ni de la littérature. Leur ambition est de faire oublier au lecteur français qu’il ne sait pas le russe et de lui donner l’illusion qu’il lit dans son texte original le carnet de poche du grand penseur de Iasnaïa Poliana, qui fut aussi un homme dans ce que ce terme comporte de plus humain, de plus sensible, de plus pitoyable, de plus douloureux, de plus noblement élevé.

La traduction est complète. Mais il a fallu supprimer certains signes typographiques reproduits par la