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ayant pour but la réalisation du royaume de Dieu. L’intensité, la passion que je mettais à cette activité avait la même violence que précédemment la tendance vers le bien personnel. À présent je sens en moi l’affaiblissement de cette passion : elle ne remplit plus ma vie, où l’élément spéculatif trouve aujourd’hui sa place ; l’activité n’est plus spontanée, comme elle l’était auparavant. Et je sens qu’une nouvelle base s’élabore au fond de mon âme ; cette nouvelle base de vie implique l’aspiration au bien d’autrui, de même que l’aspiration au bien d’autrui avait impliqué l’activité pour le bien personnel. Cette nouvelle base de vie c’est le service de Dieu, l’accomplissement de sa volonté, la tendance vers la pureté divine. Je sens que cette activité m’absorbe et remplace en moi toutes les autres. À son tour elle remplira entièrement ma vie. »

La sérénité de Tolstoï dans ses dernières années ne fut que la manifestation de cette activité.

La caractéristique de la période qui correspond à ce volume (1895-1899) se résume dans le développement philosophique de Tolstoï. C’était le temps où s’affirmait puissamment sa conception idéaliste du monde. Il est incontestable que Tolstoï a subi dans cette conception l’influence de Kant et de Schopenhauer qu’il étudiait dans les années 1870, 1880 et 1890. Mais c’est le philosophe Spir qui aida à la formation définitive de la conception tolstoïenne. (Voir note 2, page 49.) Enfin le 27 avril 1898 il écrit : « Mon réveil a consisté dans le doute qui m’est venu de la réalité du monde matériel, monde qui dès lors a perdu pour moi toute son importance. »