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auprès de toi ne fut tout d’abord pas désintéressée. Je voulais grâce à toi être en relations avec le monde… Mais après… tout cela devint si mesquin, lorsque je te connus vraiment. N’es-tu pas fâchée ?

Sans répondre, de sa main elle toucha la sienne.

Il comprit que cela voulait dire : Non, ça ne me fâche pas.

— Mais tu as dit…

Il s’arrêta, car ce qu’il voulait dire lui parut trop osé.

— … tu as dit que tu m’aimais. Je te crois, mais pardonne-moi, il me semble que quelque chose te trouble et t’empêche de parler. Qu’est-ce donc ?

Maintenant ou jamais, songea-t-elle. Il le saura un jour, mais il ne s’en ira pas, car s’il s’en allait ce serait terrible.

Son regard amoureux s’éleva vers ce visage grand, noble et puissant. Maintenant elle l’aimait plus que Nicolas ; et si ce n’avait été la couronne d’empereur elle n’aurait certes pas hésité.

— Écoutez, je ne puis plus dissimuler la vérité ; je dois tout vous dire. Vous me demandez si j’ai aimé…

Dans un geste suppliant, elle mit la main sur celle de son fiancé. Il se taisait.

— Vous voulez savoir qui ? Lui, l’Empereur.

— Nous l’aimons tous. J’imagine qu’à votre pensionnat…

— Non, plus tard. Je fus comme attirée vers lui. Mais maintenant c’est passé… Mais il faut que je vous dise…

— Quoi, alors ?