Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment pour but sa carrière. La jeune fille avait un charme particulier et le prince en devint bientôt réellement amoureux. Au début, elle lui avait marqué quelque froideur. Mais soudain tout avait changé. Elle était devenue très affable et sa mère se prit à inviter Kassatski à toute occasion.

Le prince fit sa demande, fut agréé et encore une fois il s’étonna de la facilité avec laquelle il atteignait ce bonheur, et aussi, de ce qu’il trouvait d’un peu étrange dans la conduite et de la mère et de la fille. Aveuglé par son amour, il n’avait pas remarqué ce que tous savaient : depuis un an seulement sa fiancée avait cessé d’être la maîtresse de Nicolas Pavlovitch.

Quinze jours avant le jour fixé pour le mariage, Kassatski se trouvait à Tsarkoieselo dans la villa de sa fiancée. C’était une chaude journée de mai. Les deux fiancés qui venaient de se promener dans le jardin s’assirent sur un banc à l’ombre d’une allée de tilleuls. Vêtue d’une robe de mousseline blanche, Mary semblait l’incarnation de l’amour et de l’innocence. Tantôt elle baissait la tête, tantôt regardait de dessous le grand beau jeune homme qui lui parlait avec une tendresse réservée et dont chaque geste semblait craindre d’offenser ou de salir son angélique pureté.

Kassatski appartenait à cette race d’hommes des « années quarante » dont il ne reste plus, à ces hommes qui, tout en n’étant pas eux-mêmes exempts de perversité sexuelle, recherchaient chez leurs femmes pureté idéale et céleste. Ils la reconnaissaient à chaque jeune fille de leur monde et la traitaient en conséquence. Dans cette considération, il y avait peut-être un peu d’injustice vis-à-vis de la perversité qu’ils se permettaient à eux-mêmes, mais la considération qu’ils