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pour se retirer d’abord à Moscou, puis à la campagne. Kassatski avait donné à sa sœur la moitié de son bien et ce qui lui restait était juste nécessaire pour vivre dans ce régiment où tout était riche et luxueux.

L’apparence de Kassatski était celle d’un jeune et brillant officier de la garde, en train de faire une belle carrière. Mais, intérieurement, il y avait en lui une pensée complexe et tendue. Cette tension mentale avait commencé dès son enfance. À cette époque, elle avait sans doute été plus diverse, mais en réalité elle se poursuivait tendant seulement à rechercher la perfection, la réussite et à provoquer l’admiration d’autrui dans toutes ses entreprises. S’il s’agissait de science, il s’acharnait au travail jusqu’à ce qu’on l’eût complimenté et donné en exemple. Lorsqu’il avait atteint ce but momentané, il en cherchait un autre. Ainsi, arrivé aux premières places en science, il avait remarqué que son français laissait à désirer : aussi arriva-t-il à le parler comme le russe.

Toujours, en plus de son but général qui était de servir le tsar et la patrie, il se proposait un autre but, où, qu’elle qu’en pût être l’insignifiance, il s’adonnait tout entier et vivait jusqu’au moment où il l’avait parfaitement atteint. Ce désir de se distinguer et d’arriver à un but bien déterminé remplissait sa vie. Ainsi, au moment de sa nomination, il voulut atteindre la perfection dans la connaissance du service, ce à quoi il parvint malgré son irascibilité qui l’incitait souvent à des actes nuisibles à son avancement. Ensuite, s’étant aperçu, au cours de conversations, de son manque de connaissances générales, il n’eut qu’une pensée : combler cette lacune. Et s’étant mis aussitôt à l’étude, il devint bientôt un causeur brillant. Enfin,