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La jeune femme tenait en main un flacon d’eau-de-vie… Iliouchka, tout rouge, causait avec animation en mangeant un morceau de pain. Les chevaux, abandonnés à eux-mêmes, avançaient avec plus de rapidité ; les passants se retournaient involontairement en voyant les figures épanouies des paysans.

Au moment de quitter la ville, ils rencontrèrent les recrues qui étaient groupées autour d’un cabaret. L’un d’eux, avec l’air gêné qu’ont les personnes auxquelles on a rasé les cheveux, la casquette sur la nuque, pinçait de la balaoka, un autre, un flacon d’eau-de-vie à la main, dansait au milieu d’un cercle de curieux.

Ignate arrêta son cheval pour arranger la bride et tous les Doutlof regardèrent avec attendrissement le danseur.

Le conscrit semblait ne rien voir. Il sentait que la foule des spectateurs allait en augmentant et dansait avec plus d’entrain.

Les sourcils froncés, la figure immobile, le sourire aux lèvres, il dansait avec une adresse surprenante. Il semblait que tous ses efforts tendaient à tourner avec le plus de rapidité possible. De temps en temps, il clignait de l’œil au musicien qui se mettait à jouer avec plus d’entrain. Immobile pendant quelques secondes, il s’élançait de nouveau, faisait des sauts périlleux et recommençait à tourner sur place. Les enfants riaient, les femmes secouaient la tête, les hommes regardaient avec approbation. Le musicien, fatigué, fit un accord faux et s’arrêta.

— Eh ! Alechka, cria-t-il au danseur, en lui montrant Doutlof du doigt, voici ton parrain !

— Où cela, mon cher ami ? cria Alechka, le cons-