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si l’on m’enfonçait un couteau dans le cœur. Ton père t’a confié à moi. Je t’ai toujours traité comme mon propre enfant. Si je t’ai fait du tort, je suis pécheur comme tout le monde… Ai-je raison, chrétiens ? dit-il en s’adressant aux paysans.

— Voici ta mère, voici ta femme : tenez le reçu. Pardonnez-moi au nom du Christ, si je vous ai fait du tort sans le vouloir.

Il se baissa, se mit à genoux et se prosterna aux pieds d’Iliouchka et de sa femme.

Les jeunes gens avaient beau le retenir, c’était en vain, il toucha la terre de son front, se releva et s’assit sur le banc tout essoufflé.

La mère d’Iliouchka et sa jeune femme hurlaient de joie à qui mieux mieux, on entendait dans la foule des paroles d’approbation et même d’admiration.

— Il agit selon Dieu et la justice, disaient les uns.

— Qu’est-ce que l’argent ? On ne peut acheter un fils avec de l’argent.

— Quelle joie pour la famille, entendait-on d’un autre côté… il n’y a rien à dire, c’est un homme équitable et juste.

Seules les autres recrues ne disaient rien, et ne prenaient aucune part à cette joie commune.

Deux heures plus tard, les deux charrettes des Doutlof reprenaient le chemin du village.

Dans la première étaient assis le vieux et son fils Ignate. Un paquet rempli de thé, de galettes et autres bonnes choses se trouvait à leurs pieds.

La vieille mère et la jeune femme se trouvaient avec Iliouchka dans la seconde charrette, la tête couverte d’un mouchoir, heureuses et tranquilles.