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l’amenait à consentir à tout ce qu’il voulait bien — et à lui répondre avec impatience :

— C’est bon, c’est bon, Iégor.

Au moment où commence notre récit, il était question du recrutement.

Le village de Pokrofski devait fournir trois recrues. Deux étaient choisies par le sort et, par suite des conditions sociales et économiques, il ne pouvait y avoir aucune discussion pour ce qui les concernait, ni de la part des paysans, ni de la part de la maîtresse, ni de la part de l’opinion publique. Pour la troisième, c’était autre chose.

L’intendant prenait le parti du troisième garçon, neveu de Doutlof, et proposait à sa place le domestique Polikouchta, qui jouissait d’une mauvaise réputation, qui avait été pris en flagrant délit de vol. La maîtresse caressait souvent les enfants de Polikouchta et cherchait à lui relever le moral par des citations de l’Évangile. Aussi s’opposait-elle à ce qu’on le fît soldat. D’un autre côté, elle ne voulait aucun mal aux Doutlof, qu’elle n’avait jamais vus, mais elle avait de la peine à comprendre une chose bien simple pourtant, c’est que, si Polikouchta ne partait pas, Doutlof devait absolument partir.

― Mais je ne veux pas du tout le malheur de ces pauvres Doutlof, disait-elle avec pitié.

― Si vous ne voulez pas leur malheur, payez pour le conscrit trois cents roubles, aurait-on dû lui répondre.

Mais la politique ne permettait pas de pareilles réponses. Et Iégor Ivanovitch écouta avec patience tout ce que débitait sa maîtresse.

Il examinait avec intérêt le mouvement de ses lè-